Les droits des victimes d’erreurs médicales suite à une intervention de chirurgie esthétique

Publié le : 21/02/2020 21 février févr. 02 2020

Le nombre croissant d’interventions en chirurgie esthétique ces dernières années, a donné lieu à un lourd contentieux en matière de responsabilité médicale. En dépit du perfectionnement des techniques opératoires, aucune intervention n‘est exempte de risques. Deux catégories de risques sont en effet rencontrées dans l'exercice de la chirurgie esthétique : ceux liées à l'anesthésie, et ceux liées aux complications pouvant survenir après certaines interventions délicates. Voyons quels sont les recours des victimes d’erreurs médicales et quels sont leurs droits avant et après leurs interventions chirurgicales.
 
 
La responsabilité du chirurgien esthétique :
 
 
Une obligation de moyen renforcée
 
Le chirurgien esthétique est tenu à une obligation de moyen et non à une obligation de résultat. En d‘autres termes, le chirurgien doit mettre en œuvre tous les moyens nécessaires et donner des soins consciencieux, et diligents aux patients. Lorsque le résultat n’est pas atteint, le chirurgien n’engage pas sa responsabilité. C’est ce que considère la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la Cour de Cassation du 7 octobre 1992. La loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 est venue confirmer la nature de cette obligation.
 
Cass civ 1ère, 7 octobre 1992, n°90-21141 : “ Mais attendu qu'après avoir relevé que, selon l'avis du docteur Z..., le résultat inesthétique n'était pas dû à une faute du chirurgien mais à la méthode elle-même, les résultats des prothèses mammaires étant encore statistiquement aléatoires, les juges du second degré ont estimé, au vu des rapports d'expertise et dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation, que Mme A..., dont la décision de subir l'intervention avait été " raisonnée ", n'apportait pas la preuve d'un manquement de M. Y... à ses obligations ; “
 
Article L. 1142-1 du code de la santé publique issu de la loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 modifié par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 :
 
“ Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
 
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère “.
 
L’évolution jurisprudentielle révèle néanmoins une sévérité accrue à l’égard du chirurgien spécialiste, exigeant le plus souvent, une obligation de moyen renforcée au lieu d’une obligation de moyen classique. La charge de la preuve est alors renversée, pesant sur le débiteur (chirurgien) et non plus sur le créancier (patient).
 
A titre d’exemple, la faute du chirurgien esthétique pourra être caractérisée par des manquements avant l’intervention, tels qu’un mauvais diagnostic ou suite à un défaut de suivi médical. En revanche, l’erreur de diagnostic ne constitue une faute technique que si les moyens nécessaires à l’établissement du bon diagnostic n’ont pas été mis en œuvre ou en cas d’erreur manifeste, voire grossière telle que le médecin qui oublie de demander à un patient ses antécédents médicaux avant de lui prescrire un traitement (Cass. Crim 18 octobre 2011 n°11-80.653).
 
D’autres types de fautes sont susceptibles d’engager la responsabilité du médecin : la négligence manifeste ainsi que le manquement ou la violation d’une obligation présente dans le code de la sécurité sociale ou le code de la santé publique.
 
 
Une obligation d’information renforcée pour les patients 
 
En matière d’information préopératoire et postopératoire, le praticien doit délivrer au patient une information totale et complète sur l’intervention pratiquée. Ainsi, la loi exige du chirurgien esthétique une information renforcée à l’égard des patients.
 
Article L. 1111-2 du code de la santé publique :
 
“ Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
 
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser “.
 
Article L. 6322-2 du code de la santé publique :
 
Pour toute prestation de chirurgie esthétique, la personne concernée, et, s'il y a lieu, son représentant légal, doivent être informés par le praticien responsable des conditions de l'intervention, des risques et des éventuelles conséquences et complications. Cette information est accompagnée de la remise d'un devis détaillé. Un délai minimum doit être respecté par le praticien entre la remise de ce devis et l'intervention éventuelle. Pendant cette période, il ne peut être exigé ou obtenu de la personne concernée une contrepartie quelconque ni aucun engagement à l'exception des honoraires afférents aux consultations préalables à l'intervention “.
 
Il ressort de ces textes que le patient doit avoir toutes les informations nécessaires afin d’évaluer les risques de l’intervention proposée. Par ailleurs, le praticien doit remettre un devis détaillé obligatoire afin que les conditions financières de l’acte de chirurgie soient claires pour le patient. Enfin, le praticien doit veiller à ce que le patient ait un temps de réflexion suffisant qui est fixé à 15 jours par la loi, entre la remise du devis et l’intervention éventuelle, le but étant que le consentement du patient soit libre et éclairé.
 
 
La nécessité d’une faute médicale pour engager la responsabilité :
 
Pour engager la responsabilité du praticien, ce dernier doit avoir commis une faute.
 
Article L. 1142-1 du code de la santé publique :
 
 “ (…) les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
 
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ”.
 
Une erreur de traitement telle que le fait pour un médecin de prescrire des doses de médicaments très supérieures à ce qu’un être humain peut supporter, et ce, même si le patient en question est suivi par plusieurs professionnels de santé, constitue une faute technique.
 
Cass. 1ère civ. 16 mai 2013 n° 12-21.338 : “ Vu l'article 1147 du code civil, ensemble l'article 64 du code de déontologie devenu l'article R. 4127-64 du code de la santé publique ;
 
Attendu que l'obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement de ce patient, l'obligation pour chacun d'eux, d'assurer un suivi de ses prescriptions afin d'assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences “.
 
Dans un arrêt du 5 février 2014, la chambre civile de la Cour de Cassation statuait en faveur de la famille d’une victime, une jeune femme de 22 ans décédée des suites d’une liposuccion.  La Cour avait jugé que l’anesthésiste et le chirurgien avaient manqué à leur obligation d’information et les avait notamment condamnés à indemniser la famille au titre d’une perte de chance de 30% d’éviter le dommage.
 
Cass Civ, 5 février 2014 n°12-29140 : “ (...) Attendu que ses ayants droit, font grief à l'arrêt, ayant déclaré M. Y..., médecin-anesthésiste et M. Z..., chirurgien, responsables, en raison d'un manquement à leur obligation d'information et de conseil, d'une perte de chance de 30 % d'éviter le dommage, de dire que, le décès étant dû à un accident médical non fautif, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) devait indemniser les demandeurs à hauteur de 70 % du préjudice subi, (...) les actes de chirurgie esthétique, quand ils sont réalisés dans les conditions prévues aux articles L6322-1 et L6322-2 du code de la santé publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, constituent des actes de soins au sens de l’article L-1142-1 du même code  ”.
 
 
Comment prouver la faute ?
 
Le patient doit prouver l'existence d'une faute dans les moyens mis en œuvre par le chirurgien comme par exemple un geste maladroit, une insuffisance d'information ou un manque de prudence. Il doit enfin avoir subi un préjudice et établir le lien de causalité entre la faute et le dommage.
 
Article 1315 du code civil :
 
Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
 
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation “.
 
La nature du préjudice peut être une perte de chance, supposant que le patient n'ayant pas obtenu toutes les informations sur les risques encourus, n’a pas eu le choix de changer d'avis. Il peut également s’agir d’un préjudice esthétique si le résultat de la chirurgie est objectivement disgracieux, ou d'un préjudice moral lorsque le patient a souffert moralement des suites de son intervention.
 
Exceptionnellement, certains tribunaux admettent la faute médicale sans que les victimes aient besoin de fournir une preuve. C’est le cas lorsqu’un dommage anormal est facilement constaté, la faute du médecin peut, par exception, être présumée. C’est une présomption simple ayant pour effet de renverser la charge de la preuve.
 
Cass civ 1ère, 23 mai 2000, n°98-20.440 : “ Attendu que, le 23 janvier 1991, M. X..., médecin stomatologiste, a, en procédant sur la personne de Mlle Y... à l'extraction d'une dent de sagesse, provoqué un traumatisme du nerf sublingual ; que M. X... reproche à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 avril 1998) d'avoir retenu sa responsabilité, alors que le fait pour un médecin de blesser un nerf qui n'était pas visé par son intervention ne révèle aucune faute lorsque, selon le moyen, le trajet du nerf était anormal et ne pouvait être décelé ;
Mais attendu que, dès lors que la réalisation de l'extraction n'impliquait pas l'atteinte du nerf sublingual et qu'il n'était pas établi que le trajet de ce nerf aurait présenté chez Mlle Y... une anomalie rendant son atteinte inévitable, la cour d'appel a pu décider que M. X... avait commis une faute dans l'exécution du contrat le liant à sa patiente ”.
 
 
L'indemnisation des victimes en l’absence de fautes médicales
 
Certaines victimes ne sont pas en mesure de prouver une faute pour la simple raison qu’elle n’existe pas. La loi évoque la notion d’accident médical non-fautif dû à l’existence d'un aléa thérapeutique. Dans ce cas, les victimes peuvent solliciter une indemnisation au titre de la solidarité nationale par l’ONIAM déjà expliqué plus haut dont la demande se fait auprès des commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI). Trois conditions sont nécessaires :
 
 
 
  • Subir un préjudice directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ;
 
  • L’existence de conséquences anormales au regard de l’état de santé et de l’évolution prévisible ;
 
  • Un caractère de gravité fixé par décret.
 
Article L. 1142-4 du code de la santé publique :
 
“ Toute personne victime ou s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins ou ses ayants droit, si la personne est décédée, ou, le cas échéant, son représentant légal, doit être informée par le professionnel, l'établissement de santé, les services de santé ou l'organisme concerné sur les circonstances et les causes de ce dommage.
Cette information lui est délivrée au plus tard dans les quinze jours suivant la découverte du dommage ou sa demande expresse, lors d'un entretien au cours duquel la personne peut se faire assister par un médecin ou une autre personne de son choix “.
 
Article L 1142-5 du code de la santé publique :
 
“ Dans chaque région, une ou plusieurs commissions de conciliation et d'indemnisation sont chargées de faciliter le règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, aux affections iatrogènes et aux infections nosocomiales, ainsi que des autres litiges entre usagers et professionnels de santé, établissements de santé, services de santé ou organismes ou producteurs de produits de santé mentionnés aux articles L. 1142-1 et L. 1142-2 “.
 
En matière de chirurgie esthétique l'indemnisation des victimes a cependant été restreinte.
 
En effet, avant 2015 l’ensemble des actes médicaux était couvert par le système d’indemnisation de l’ONIAM, même lorsqu’il s’agissait d’une chirurgie esthétique. Après 2015, la loi de finance de la sécurité sociale a supprimé les victimes d’aléa thérapeutique à la suite d’actes de chirurgie esthétique, du bénéfice de l’indemnisation.
 
Article L. 1142-3-1 – I du code de la santé publique :
 
Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale […] n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi ”.


Bon à savoir :
 
Rappelons que la victime peut intenter différentes actions devant les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif en fonction de la nature de la responsabilité engagée. Enfin, il lui est également possible de déposer une plainte auprès de la juridiction disciplinaire de l’Ordre des médecins.
 
  • Responsabilité civile : cette responsabilité a pour rôle de réparer les dommages causés à une victime dans le secteur privé. L’action en justice se fera devant les juridictions civiles.
 
  • Responsabilité administrative : cette responsabilité concerne le secteur public hospitalier. Elle a pour objectif d’indemniser la victime lorsque la responsabilité des agents publics est retenue. L’action en justice se fera devant les juridictions administratives.
 
  • Responsabilité pénale : c’est une responsabilité personnelle, individuelle, non couverte par un tiers (l'assurance des professionnels de santé est exclue pour les délits intentionnels). Le rôle de cette responsabilité est de punir le praticien de la faute pénale par une peine d'amende ou/et de prison. L’action en justice se fera devant les juridictions pénales.
 
  • Responsabilité ordinale : cette responsabilité est régie par le code de déontologie médicale, dont le non-respect est passible de poursuites devant la section disciplinaire du conseil de l’Ordre. Aucune réparation matérielle n’est possible à l’issue de cette procédure disciplinaire. La plainte devra être déposée devant la juridiction disciplinaire de l’Ordre des médecins.
 
 
 
 
Patrick Lingibé
Avocat spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Cabinet JURISGUYANE
Membre du réseau EUROJURIS




 

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