MESURES DE MISE EN QUARANTAINE ET EN ISOLEMENT : QUEL CONTRÔLE DANS L’ETAT URGENCE SANITAIRE ?

MESURES DE MISE EN QUARANTAINE ET EN ISOLEMENT : QUEL CONTRÔLE DANS L’ETAT URGENCE SANITAIRE ?

Publié le : 24/05/2020 24 mai mai 05 2020

Le II de l’article L. 3131-17 du code de la santé prévoit que les mesures individuelles ayant pour objet la mise en quarantaine et les mesures de placement et de maintien en isolement sont prononcées par décision individuelle motivée du représentant de l'Etat dans le département sur proposition du directeur général de l'agence régionale de santé.

Dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation concernant le contrôle des mesures de quarantaine et d’isolement en indiquant que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences de l'article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour sans l'autorisation du juge judiciaire. ». Il appartenait donc au pouvoir règlementaire d’intégrer cette exigence de contrôle du juge constitutionnel dans le dispositif règlementaire mis en place. Le décret n° 2020-610 du 22 mai 2020 pris pour l'application de l'article L. 3131-17 du code de la santé publique est donc venu précisé l’application et le contrôle de ces mesures de contraintes de déplacement pour une personne qui se trouve y assujettie.


I – Le CADRE POSE PAR LE LEGISLATEUR.

En premier lieu, il faut noter l’exigence d’un certificat médical. En effet, le placement et le maintien en isolement sont subordonnés impérativement à la constatation médicale de l'infection de la personne concernée. Ils sont prononcés par le représentant de l'Etat dans le département au vu d'un certificat médical.

En deuxième lieu, on note le contrôle d’un juge judiciaire au lieu du juge administratif généralement prévu. Ainsi, les mesures de contrainte peuvent à tout moment faire l'objet d'un recours par la personne qui en fait l'objet devant le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe le lieu de sa quarantaine ou de son isolement, en vue de la mainlevée de la mesure.

En troisième lieu, il est prévu une auto-saisine du juge judiciaire. Ainsi, si le juge des libertés et de la détention peut être saisi également par le procureur de la République territorialement compétent, il également se saisir d'office à tout moment.

En quatrième lieu, s’agissant du délai pour statuer, il est extrêmement bref. Le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de soixante-douze heures par une ordonnance motivée immédiatement exécutoire.

En cinquième lieu, conformément aux réserves du juge constitutionnel, il est fixé un contrôle automatique à l’issu d’un délai. Ainsi, les mesures de mise en quarantaine ou d’isolement ne peuvent être prolongées au-delà d'un délai de 14 jours qu'après avis médical établissant la nécessité de cette prolongation.

De plus, il y a un contrôle renforcé lorsque la mesure interdit toute sortie de l'intéressé hors du lieu où la quarantaine ou l'isolement se déroule. Dans ce cas, cette mesure ne peut se poursuivre au-delà d'un délai de 14 jours sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le représentant de l'Etat dans le département, ait autorisé cette prolongation.


En sixième lieu, les mesures générales et individuelles édictées par le représentant de l'Etat dans le département sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Les mesures individuelles font l'objet d'une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent.

En septième lieu, la décision de mise en quarantaine ou d’isolement doit mentionner les voies et délais de recours ainsi que les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention.



II – LE CADRE POSE PAR LE DECRET DU 22 MAI 2020.

Le décret décline les modalités de l’intervention de l’autorité préfectorale ainsi que le contrôle exercé.


1° – Une compétence préfectorale d’attribution.

Le préfet du territoire concerné peut ordonner, par décision individuelle motivée prise sur proposition du directeur général de l'agence régionale de santé, des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement.

Il peut, dans les mêmes conditions, et après avis médical établissant la nécessité de la prolongation, renouveler la mesure de mise en quarantaine ou de placement en isolement, lorsqu'elle n'interdit pas toute sortie de l'intéressé hors du lieu où la quarantaine ou l'isolement se déroule, et ne lui impose pas de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour.

Lorsqu'il propose un placement en isolement le directeur général de l'agence régionale de santé accompagne sa proposition du certificat médical mentionnant que la personne est diagnostiquée porteuse du virus covid-19.

Il s’agit du préfet du territoire du lieu d'entrée de la personne sur le territoire national ou de son arrivée en Corse ou dans l'une des collectivités de Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.


2° – Conditions d’exécution de la décision préfectorale.

La décision de mise en quarantaine ou de placement en isolement doit impérativement fixer les conditions d'exécution de la mesure, notamment :

1° Le lieu d'exécution de la mesure ;

2° La durée de la mesure ;

3° Les restrictions ou interdictions de sortie et les conditions auxquelles elles sont subordonnées ;

4° Les conditions permettant la poursuite de la vie familiale ;

5° Les adaptations nécessaires, le cas échéant, à la situation particulière des mineurs.

Ces cinq points sont des éléments a minima devant figurer dans l’arrêté préfectoral.



3° – L’obligation de garantir la communication entre la personne écartée et l’extérieur.

Lorsque les conditions d'exécution de la mesure interdisent toute sortie du domicile ou du lieu d'hébergement, la décision précise les conditions permettant de garantir à la personne concernée un accès aux biens et services de première nécessité, ainsi qu'à des moyens de communication téléphonique et électronique lui permettant de communiquer librement avec l'extérieur.


4° – Une mesure de protection renforcée pour le victimes de violences intrafamiliales ou conjugales.

Lorsque la mesure concerne des personnes et enfants victimes ou alléguant être victimes des violences conjugales ou intrafamiliales, la décision fixe les mesures de nature à garantir leur sécurité.


5° – Les conditions de notification de la mesure préfectorale.

La décision de mise en quarantaine ou la décision de placement en isolement, accompagnée du certificat médical ainsi que ses conditions d'exécution, sont notifiées à la personne qui fait l'objet de la mesure. Cette notification est adressée également, selon le cas, au titulaire de l'exercice de l'autorité parentale, au tuteur ou à la personne chargée de la mesure de protection.

La notification comporte l'indication des voies et délais de recours, des modalités de saisine du juge des libertés et de la détention, des effets attachés à ses décisions, et des conditions de son intervention en cas demande de prolongation par le préfet de la mesure de mise en quarantaine ou de placement à l'isolement au-delà de quatorze jours.


6° – L’obligation d’information mise à la charge de l’ARS

Le directeur général de l'agence régionale de santé est chargé de l'information régulière et de l'organisation du suivi médical des personnes faisant l'objet d'une quarantaine ou d'un placement en isolement.

A cette fin il organise un suivi téléphonique régulier de ces personnes.

Il les informe de la possibilité de bénéficier d'un accompagnement social, médical ou médico-psychologique.

Il tient le préfet informé de son action.


7° – La fin anticipée d’une mesure d’isolement.

Le préfet peut, dans les conditions prévues au II, mettre fin à une mesure d'isolement avant son terme lorsqu'un avis médical établit que l'état de santé de l'intéressé le permet.


8° – Les droits de la personne mise en quarantaine ou en isolement.

La personne mise en quarantaine ou placée à l'isolement en application ainsi que le ministère public, peuvent à tout moment demander au juge des libertés et de la détention la mainlevée de la mesure de quarantaine ou d'isolement.

Le juge est saisi par requête adressée au greffe par tout moyen. A peine d'irrecevabilité, la requête est motivée et signée. Elle est accompagnée de toute pièce justificative utile. Le greffe la transmet sans délai au préfet.


9° - Le contrôle de droit du juge judiciaire.

Le juge des libertés et de la détention peut également se saisir d'office à tout moment. A cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu'elle estime utiles sur la situation d'une personne faisant l'objet d'une mise en quarantaine ou d'un placement à l'isolement.

Que ce soit sur saisine d’une des parties précitées ou sur auto-saisine, le juge des libertés et de la détention statue selon une procédure écrite.

Le juge peut décider de recourir à des moyens audiovisuels ou téléphoniques, à condition que la confidentialité de la transmission et le contradictoire soient assurés.

Les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen dès lors que le juge peut s'assurer du respect du contradictoire.

La personne mise en quarantaine ou placée à l'isolement peut être représentée par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office.

Elle peut être assistée d'un interprète.

La personne qui fait l'objet de la mesure et, le cas échéant, son avocat ainsi que le ministère public et le préfet, peuvent adresser des observations au juge des libertés et de la détention. La décision du juge des libertés et de la détention leur est notifiée sans délai par tout moyen permettant d'en assurer la réception.


10° - Le recours en appel.

L'ordonnance du juge des libertés et de la détention est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué dans les 5 jours de sa notification. Le premier président de la cour d'appel ou son délégué statue alors à bref délai.


11° - La notification des droits des droits personnes mineures.

Lorsque la personne qui fait l'objet de la mesure est mineure, les droits prévus sont exercés par les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale ou le tuteur. Lorsqu'elle est majeure et fait l'objet d'une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation à la personne, ils sont exercés par la personne bénéficiant de cette mesure ou par la personne qui en est chargée.



12° - Les conditions de prolongation de la mesure préfectorale de contrainte.

Sur proposition du directeur général de l'agence régionale de santé, le préfet saisit le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la mesure de mise en quarantaine ou de placement à l'isolement au-delà de 14 jours dès lors que la mesure de mise en quarantaine ou de placement en isolement interdit toute sortie de l'intéressé hors du lieu où la quarantaine ou l'isolement se déroule ou impose à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour.

A peine d'irrecevabilité, la demande est présentée au plus tard le dixième jour de la mesure.

Sous la même sanction, elle est motivée, datée, signée et accompagnée de l'avis médical établissant la nécessité de cette prolongation et, lorsque cette dernière a pour objet une mesure d'isolement, le certificat médical ayant justifié le placement à l'isolement. Elle comporte en outre toute pièce justificative utile.

La demande est adressée par tout moyen au greffe du tribunal qui l'enregistre et y appose, ainsi que sur les pièces jointes, un timbre indiquant la date et l'heure de la réception.

Le préfet communique sans délai, par tout moyen, une copie de la requête et des pièces qui y sont jointes à la personne faisant l'objet de la mesure et l'informe qu'elle peut présenter des observations écrites au plus tard le douzième jour de la mesure.


13° - Le contrôle du douzième jour.

Au plus tard le douzième jour de la mesure, la personne qui en fait l'objet et, le cas échéant, son avocat ainsi que le ministère public, peuvent adresser des observations au juge des libertés et de la détention.

A l'issue de ce délai, le juge des libertés et de la détention statue selon une procédure exclusivement écrite. Le juge peut décider de recourir à des moyens audiovisuels ou téléphoniques, à condition que la confidentialité de la transmission et le contradictoire soient assurés.

Les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen dès lors que le juge peut s'assurer du respect du contradictoire.

La personne mise en quarantaine ou placée à l'isolement peut être représentée par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office.

Elle peut être assistée d'un interprète.

Le juge des libertés et de la détention statue avant l'expiration du délai de quatorze jours à compter du placement en quarantaine ou à l'isolement.

Il ordonne, s'il y a lieu, la mainlevée de la mesure de quarantaine ou d'isolement.

La décision est notifiée notamment au préfet sans délai par tout moyen permettant d'en établir la réception.


14° - La mainlevée de plein droit.

Lorsque le juge des libertés et de la détention n'a pas statué avant l'expiration du délai de 14 jours, la mainlevée de la mesure de quarantaine ou d'isolement est acquise à l'issue ce délai.

Les dispositions précitées sont rendues applicables sur les territoires de Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Patrick Lingibé
Spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Médiateur Professionnel
Membre du réseau d'avocats EUROJURIS
Membre de l'Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)

Cabinet JURISGUYANE

 

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